Les propositions de la Commission pour la réforme de la PAC ont été qualifiées par certains de « révolutionnaires ». Depuis longtemps, ce genre de vocabulaire a accompagné l’histoire des réformes de la politique agricole européenne. Par exemple, quand il était commissaire à l'agriculture, Ray MacSharry a utilisé ce même mot, lorsque la Commission a publié le 31 janvier 1991 le document de réflexion intitulé « Évolution et avenir de la politique agricole commune ». En effet, ce commissaire irlandais avait défendu cette nouvelle stratégie afin de révolutionner la PAC et les négociations au sein du GATT.
Comme nous avons déjà vu, il n’est pas encore certain quelles seront les conséquences définitives de la nouvelle réforme de la PAC. Certaines des propositions « révolutionnaires » pourraient faire l’objet de modifications profondes. En attendant les résultats de ce processus de négociation, pourquoi ne pas jeter un coup d’œil sur l’histoire des « révolutions » agricoles ? En effet, c’est toujours bénéfique de se détacher du contexte contemporain et de gagner, avec un point de vue panoramique, une autre compréhension des enjeux acteuls.
La révolution agricole aux temps bibliques
Selon Donald G. Baker, il y a une importance relevant de l’agriculture et de la sociologie religieuse dans l’histoire biblique des 7 ans „gras“ et des 7 ans „maigres“. Cette histoire parle de Joseph qui réussit à interpréter les rêves mystérieux du pharaon : son pays allait connaître sept ans fertiles de récoltes très riches, et ensuite sept ans de pénuries agricoles. Grâce à cette bonne interprétation, le pays constitue ensuite des stocks alimentaires pendant la période d’abondance, qui lui permettent ensuite de faire face à l’austerité. Pour D.G. Baket, il s’agit là d’une transcription dans la mémoire collective d’un changement de cap : la prise de conscience de la nécessité d‘une prévoyance agricole, et la considération que les sacres aux Dieux ne suffisent plus.
Ce changement de cap s’inscrit, pour D. G. Baker dans un contexte plus large, où le souhait de cultiver les plantes et les animaux signifie également le besoin de cultiver l‘homme et de rationaliser ses activités. Ainsi, agriculture et civilisation seraient interconnectées depuis toujours.
Révolutions du Moyen Âge
Le Moyen Âge a vu naître de nombreux „révolutions“ agricoles. À ce titre, on pourrait citer, par exemple, les déforestations, la formation de villages agricoles, plusieurs innovations techniques (collier de cheval, fer à cheval, etc.) et agricoles (cultures, rythme d‘exploitation, etc.). Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que tous ces processus n’ont pas toujours été réalisés du jour au lendemain, ni de façon consciente, alors que le mot « révolution » fait justement référence aux changements brusques poursuivant un objectif bien identifié et réfléchi. Ainsi, on pourrait s’interroger si ces révolutions médiévales n’étaient pas plutôt des simples évolutions.
De la renaissance à l’ère industrielle
Wikipedia n’hésite pas à le dire de manière définitive : « À la fin du XIXe siècle, le monde paysan a effectué une première révolution ».
Face à ce genre de constat, le chercheur Jean-Marc Moriceau regrette que l’on ait souvent l’impression que « seule l’entrée dans la Révolution industrielle » donnait droit au progrès. Or, selon J.M. Moriceau, il ne faut pas sous-estimer le XVIIIe siècle, marqué, lui aussi, par un certain dynamisme agricole, ni la période de 1560 à 1690, dont la stabilité ne devrait pas être associée à l’immobilité. Au contraire, selon J. M. Moriceau, c’est sur la base de cette stabilité que des progrès ont été possibles au XVIIIe siècle; et c’est en s’appuyant sur ces acquis-là que la « révolution » du XIXe et du XXe siècle a été réalisé (cf. Jean-Marc Moriceau: Terres Mouvantes. Les campagnes françaises du féodalisme à la mondialisation. XIIe-XIXe siècle. Fayard, Paris, 2002. page 33).
Ainsi, la « révolution » agricole ne serait pas le fruit de la Révolution industrielle, mais de plusieurs siècles de progrès agricoles. À l’inverse, il y a également certains qui remettent en cause que la Révolution industrielle aurait été alimentée par une révolution agricole. À ce titre, J.L.Lenhof affirme : « Aucun grand pays industriel d‘Europe, pas même la Grande-Bretagne, n‘a connu au XIXe siècle de révolution agricole, au sens d’une mécanisation de la production. La révolution industrielle a en effet été « nourrie » essentiellement grâce aux apports d’une pêche maritime intensifiée et grâce aux produits agricoles des « pays neufs » […] obtenus de façon extensive, sur des terres jusque-là vierges. » (cité selon Jean-Marc Moriceau, op. cit., page 62)
Conclusions sans harmonie parfaite
Toutefois, il ne serait pas inconcevable de contester ces hypothèses, par des analyses approfondies des pratiques et des changements structurels de l’histoire de l’agriculture, notamment au XIXe siècle. Cette discussion dialectique et détaillée ne peut pas s’effectuer dans le cadre restreint d’un blog, car elle nécessiterait plutôt des milliers de pages d’analyse. Néanmoins, ces premières réflexions peuvent d’ores et déjà nous servir d’exemple qui illustre plusieurs choses.
D’abord, il faut se méfier des réponses trop faciles et stéréotypées (par exemple « siècles de l’immobilisme total » versus « période minuscule de progrès énorme »); souvent, des concepts plus nuancés sont bien plus pertinents.
Par conséquent, il convient toujours de valoriser non seulement les prétendues « grandes révolutions », mais aussi les petits détails – en se cumulant et en persistant à travers le temps, ceux-ci peuvent gagner une force inattendue.
Enfin, tenons à l’esprit que, contrairement à certaines idées reçues, l’agriculture n’est pas une chose uniforme qui était là depuis toujours et qui sera également toujours là dans l’avenir. Au contraire, comme beaucoup de choses, l’agriculture change tous les jours, elle doit se réadapter sans cesse – et pour réussir ce défi, « c’est un combat de tous les jours », comme disait récemment le ministre Bruno Le Maire lors d'une réunion des Chambres d'agriculture.