Dans ce numéro de Barbarie, nous avons intégré un article de politique fiction satirique sur l’immigration et les questions identitaires. En effet, l’approche satirique est une manière confortable d’aborder ce sujet complexe et controversé, sans tomber dans le piège des argumentations simplistes. Mais cela est vrai aussi pour le théâtre, un moyen artistique encore plus adapté pour cerner le sujet des identités qui s’échappent.
Dans le Rosemary Branch Theatre, en août 2010 au Royaume-Uni, les spectateurs de la pièce Sur la Pointe des Pieds , la première production du Théâtre Transparent, sous la direction de Sophia von Gosen, voient s’installer devant eux un personnage qui semble être sorti d’un autre univers. Il se met à l’aise, il se préparer selon mille petites procédures très particulières… et il nous introduit à d’autres personnages étranges. Leurs histoires sont les bagages avec lesquels il voyage. Ils sont, tout comme lui, des êtres qui sont déracinés, qui sont partis de leur lieu d’origine, mais qui ne sont pas encore arrivés dans un nouveau « chez eux ». Vers où aller, à défaut de pouvoir encore rêver de retrouver l’idylle perdue ? Retourner au village espagnol, dans l’atmosphère étouffante de la dictature de Franco ? Retourner en Algérie, qui vient tout juste de devenir indépendante ? Retourner vers des parents que l’on n’a jamais connus ? Trouver un refuge émotionnel dans le monde impitoyable de la prostitution dans la capitale française ?
Mais attention : si tout cela a l’air très grave, Sur la Pointe des Pieds ne se borne justement pas à émouvoir par les tragédies de la vie. Au contraire, la pièce est racontée d’un air très léger, avec plein d’énergie, et fait rire son public. Les costumes bouffonesques, les scènes acrobatiques, la musique, les traits exagérés et extravagants des caractères… Ainsi, on fait rire le spectateur, en dépassant en même temps les stéréotypes caricaturés. Mais que reste-t-il après que les histoires de vie ont été racontées, déformées et à nouveau rassemblées ? C’est à chaque spectateur de découvrir cela entre les lignes… Notre conteur d’histoires, qui s’était installé parmi le public, reprend ses bagages, ses histoires, et disparaît – un départ aussi miraculeux que son arrivée. Et le public se demande : Après tout, que sait-on vraiment de cet ami étrange ?
Car ce que ce monsieur déclare au début du spectacle correspond à tous les personnages de la pièce : « Je ne suis pas d’ici – je suis étrange ». Ici, ce qui semble être une faute de vocabulaire se révèlera comme une certaine vérité. Le fait de se sentir comme un étranger est vécu comme une faute, qui paraît d’abord aussi anodine qu’une faute de vocabulaire ; mais finalement, le déracinement touche les personnages au plus profond et les rend « étrange » à leurs propres yeux et à ceux des autres.
Une chanson très connue de P.J. Harvey, A place called home, parle aussi de cette quête d’un chez soi, qui est finalement avant tout la quête d’un refuge solide et sûr, à travers le bien-être avec ses proches et avec soi-même. Dans ce sens, nous pouvons comprendre pourquoi les personnages de Sur la Pointe des Pieds semblent être étranges – parce que leurs migrations reflètent aussi un nomadisme intérieur et émotionnel. Ici, celui qui ne sait pas où se trouve son « chez soi », c’est aussi celui qui est dépourvu d’un domicile intérieur. Une perte de son home correspondrait à une perte d’identité. Ce que les personnages de la pièce essayent, avec beaucoup d’humour, amour et légèreté, c’est de reconstruire une identité, un home, une zone de douceur, une vie privée, un refuge intacte d’intimité. C’est donc une recherche vitale, qui nous concerne tous.
Certes, les textes satiriques et le théâtre ne peuvent pas nous donner les réponses à tous les problèmes, ils ne peuvent pas résoudre les tensions qui existent dans le monde. Mais à défaut de nous donner toutes les réponses, ces œuvres sont tout à fait capables de nous inciter à nous poser les bonnes questions, vitales pour notre recherche d’un home.
Sur la Pointe des Pieds, du Théâtre Transparent, avec Houari Bessadet, Tamsin Clarke, Sigrid Mettetal, Thom Monckton, Ana Belén Navares, et avec une mise en scène de Sophia von Gosen, jouera au Festival Premiers Pas, dans les lieux du Théâtre du Soleil, (Paris-Vincennes, Cartoucherie) en mai et en juin 2011.
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