Par JJB
L’idée de stocker l’énergie peut sembler paradoxale au premier
regard : comment est-ce qu’un phénomène aussi éphémère que l’énergie pourrait
être séquestré sur une longue durée ? Pourtant, il existe déjà de nombreuses
manières pour y parvenir, et plusieurs pistes sont en train d’être étudiées
pour compléter et améliorer ces technologies de stockage. En effet, celles-ci
sont amenées à jouer un rôle de plus en plus important dans le cadre de la
transition énergétique.
Stockage d’énergie : quels
vecteurs ?
Parmi les solutions traditionnelles de stockage d’énergie, on pourrait citer d'abord les produits solides d’origine fossile, tels que le charbon ou le fioul, qui peuvent facilement être achetés, vendus, transportés, stockés puis utilisés à n’importe quel
moment – dégageant ainsi de l’énergie, par exemple pour cuisiner ou pour alimenter le
moteur d’une voiture.
Les systèmes gaziers, avec leurs réserves et réseaux, permettent également
de stocker et distribuer de l’énergie, sous forme de gaz naturel. Là encore, il s'agit d'une source d'énergie qui reste avant tout d’origine fossile, même si des alternatives
moins carbonées se développent également.
De manière similaire, les réseaux de chaleur, qui fournissent de la
chaleur à leurs clients, permettent de conserver l’énergie sous forme de
chaleur pendant une certaine durée (à condition d’une bonne isolation
thermique).
Cet effet d’inertie n’étant pas possible dans le cas de l’électricité,
celle-ci est la forme d’énergie qui est la plus difficile à stocker. En effet,
sur un réseau électrique, l’offre doit correspondre à la demande à tout moment.
Les technologies de stockage d’électricité méritent donc une attention toute
particulière.
Stockage d’électricité : entre les
batteries lithium-ion et options plus larges
Le prix de batteries lithium-ion a chuté de manière considérable ces
dernières années, d’environ 1200 USD/kwh en 2010 pour les batteries de
véhicules à 156 USD/kWh en 2019, selon l’Agence International de l’Energie (IEA, qui précise d’ailleurs également la chute des prix pour d’autres gammes de batteries).
Selon les analyses de Bloomberg New Energy Finance, ces prix continuent
de chuter et commencent en 2020 à se situer en dessous de 100 USD/kWh.
Mais les batteries lithium-ion ne sont pas forcément la solution la
plus efficace pour le stockage de grands volumes d’électricité sur de longues
durées. Pour cela, la solution la plus répandue aujourd’hui reste l'énergie hydraulique, et notamment les STEP :
ces Stations de Transfert d'Energie par Pompage utilisent de l’électricité (lorsqu’elle est abondante sur le marché) pour pomper de l’eau dans des bassins de retenue d’eau
à hauteur élevée. Ensuite, lorsque l’offre d’électricité sur le marché est trop faible, cette
eau peut être relâchée pour faire tourner des turbines de production d’électricité.
Cela représente un atout considérable pour un avenir où les énergies
renouvelables joueraient un rôle plus important dans la fourniture d’électricité,
créant ainsi un besoin pour compenser les fluctuations que peuvent connaître la
production électrique photovoltaïque ou éolienne.
Néanmoins, étant donné que les STEP nécessitent une géographie spécifique,
et peuvent avoir un impact négatif sur la biodiversité locale, d’autres
solutions sont développées à travers le monde.
D’un point de vue non seulement technique mais aussi financier, les technologies suivantes sont parmi les options les plus efficaces (après les STEP), selon
la ressource en ligne GreenTechMedia :
des tours de béton (répliquant le principe des STEP mais en soulevant et relâchant du béton au lieu d’eau), qui ont par exemple déjà suscité l’intérêt de Bill Gates et Tata Power,
de l’air liquéfié et stocké dans des réservoirs en surface,
de l’air pressurisé et stocké dans des cavités souterraines (dans les deux cas, la décompression de l’air permet ensuite de faire tourner des turbines produisant de l’électricité)
des batteries à flux redox, qui stockent l’électricité via un réservoir d’électrolytes liquides
Toutefois, il convient de noter que ces technologies ne sont pas
encore déployées à grande échelle aujourd’hui. Ainsi, la question du stockage à
longue durée (par exemple, pour lisser la saisonnalité de la production et consommation
d’électricité), essentielle pour le défi de la décarbonation de l’économie, est
encore loin d’être tranchée.
Règles du jeu : comment harmoniser
tous ces instruments ?
La question du stockage n’est pas seulement technologique, elle est
également économique. Par exemple, les professionnels des marchés de l’électricité discutent depuis longtemps sur la question de savoir s'il faut rémunérer (en plus de la production réelle d'électricité) la disponibilité des producteurs d’électricité, afin s’assurer que l’offre
d’électricité soit toujours suffisante. Une telle rémunération pourrait avoir un impact important sur la rentabilité du stockage d'énergie. Néanmoins, ces débats ne sont pas encore complètement tranchés dans les différents pays.
De
plus, les opérateurs de stockage d’énergie ayant un rôle intermédiaire,
entre producteurs et consommateurs, ils pourraient faire l'objet d'une double-taxation, à la fois quand ils importent et quand ils exportent de l'énergie.
Tant que les revenus (ainsi que les surcharges et taxes) associés à ce rôle
restent flous, il n'est pas facile d’investir dans de nouvelles installations de
stockage d’énergie, notamment s’il s’agit de nouvelles technologies encore peu
matures.
C’est un challenge non négligeable pour les régulateurs qui
définissent les règles des marchés de l’énergie : si l’on veut compenser
financièrement le stockage d’électricité et la sécurité d’approvisionnement qu’il
peut procurer, il faut le faire d’une manière qui évite des effets indésirables
sur les marchés ou sur les réseaux électriques.
Par exemple, le stockage d’électricité
pourrait aider à absorber la surproduction momentanée des énergies
renouvelables, notamment lorsque le réseau électrique local n’est plus capable
d’évacuer toute cette production électricité (dans ce cas, on écrête aujourd’hui
souvent la surproduction renouvelable). Mais, pour ce faire, il faut que le cadre
régulatoire incite l'opérateur du stockage à absorber l’électricité au moment où
le réseau local est dépassé. Autrement, il n’est pas exclu que le marché
national incite l'opérateur du stockage à exporter de l’électricité (au lieu d’en
absorber), détériorant ainsi la situation du réseau local au lieu de l’améliorer.
Des solutions de « Sector Coupling », qui renforcent les
synergies entre les secteurs (électricité, chaleur, transport), peuvent
également aider à absorber la (sur)production d’électricité renouvelable, permettant ainsi souvent de conserver cette énergie sur une durée plus longue. Par exemple, le « Power-to-heat »
qui, aujourd’hui déjà, utilise les excédents de la production renouvelable pour
en faire de la chaleur pour les réseaux de chaleur municipaux, par exemple au Danemark et en Allemagne.
Un autre exemple est la transformation d'électricité en
hydrogène, qui peut ensuite être utilisé en tant que gaz décarboné pour des
processus industriels, de la chaleur, ou pour la mobilité (voire pour en
refaire de l’électricité, même s’il y a des pertes d’efficacité durant l’étape
de transformation).
Conclusion
Ainsi, de nombreux enjeux technologiques, économiques et régulatoires
restent encore à relever autour du stockage de l’énergie. Pour le système de l’électricité
de l’avenir, qui sera conçu pour accueillir de plus en plus d’énergies
décentralisées et décarbonées, il y aura donc plusieurs outils de stockage dont
le déploiement reste à surveiller de près.